Prime inflation, un cache-misère

(Temps de lecture 6 mn )

Alors que les profits s’accumulent pour les grands groupes et que les écarts de revenus se creusent entre les ultra-riches et les plus pauvres, le gouvernement tente une nouvelle diversion face à la montée des prix des produits de première nécessité et des dépenses incompressibles.

Quelle prime et pour qui ?

Contours de la prime
La prime inflation s’élèvera à 100 €, versés en une seule fois, et concernera toutes les personnes qui touchent un revenu d’activité ou de remplacement inférieur à 2 000 € nets, ce qui correspond au salaire médian.
On notera sur ce point que la prime est individualisée et non familialisée. Pour rappel, c’est ce qui est demandé depuis des années pour l’Allocation Adulte Handicapé et qui serait beaucoup plus justifié que pour cette prime. Pourtant, cette revendication, notamment portée par les associations spécialistes du handicap, est sans cesse refusée par le gouvernement. L’une des dernières justifications de la majorité était qu’« aucun système informatique ne pourrait la mettre en oeuvre ». Finalement on voit qu’avec un peu de volonté politique, les solutions peuvent être trouvées.
L’autre élément à relever est que les revenus du capital ne sont pas pris en compte dans le revenu de référence servant à la prime.

Au total, la prime devrait être touchée par 38 millions de personnes, entre décembre 2021 et février 2022. Le coût brut serait donc de 3,8 milliards d’euros pour l’État.

Principaux bénéficiaires.

Concrètement, les salarié·e·s du privé (14 millions de concerné·e·s par la mesure), les travailleur·se·s non-salarié·e·s (2 millions) et les étudiant·e·s (1,5 million) boursier·ère·s devraient percevoir la prime en décembre. Pour les étudiant·e·s non boursier·ère·s mais éligibles aux APL, il faudra attendre janvier 2022 (l’annonce du versement de cette prime a provoqué une saturation des lignes téléphoniques des Crous, dont le personnel est débordé par les questions d’étudiant·e·s très nombreux·ses à subir la très grande pauvreté). Ce sera aussi le cas pour les salarié·e·s du secteur public (2,5 millions) et les bénéficiaires de minima sociaux ou autres prestations sociales (6,5 millions). Enfin pour les retraité·e·s (12 millions), ça sera en février 2022.

Une prime en lien avec les prix de l’énergie… ou les prix tout court ?

Prime pour faire face à l’augmentation des prix des carburants ou à l’inflation en général, le gouvernement ne semble pas très sûr de lui. En effet, dans sa FAQ2, censée clarifier les choses, on trouve des réponses contradictoires.

Tout d’abord, concernant la justification du montant de la prime, il est expliqué que ce montant « permet de couvrir l’impact moyen de la hausse du carburant par rapport à la moyenne 2018-2019 si les prix devaient se maintenir à leurs niveaux actuels pendant un an (80 €) ».
Pourtant, quelques lignes plus tard on peut lire : « Cette mesure vise à soutenir le pouvoir d’achat des Français face aux hausses des prix, pas seulement la hausse des prix des carburants. » Ce flou est sans doute la marque d’une forme de « panique » côté gouvernemental de perdre la main sur le sujet du pouvoir d’achat. C’est aussi une reconnaissance indirecte que le coût de la vie augmente.

En effet, le gouvernement sait bien que l’inflation ne se limite pas aux seuls prix des carburants, même si les prix de l’énergie (électricité et gaz compris) ont connu une augmentation spectaculaire ces derniers mois. De plus, comme la prime ne fait l’objet d’aucun ciblage par rapport à l’exposition des prix du carburant, le gouvernement a dû indiquer par la suite que la prime n’était pas destinée uniquement à couvrir cette augmentation.

Une prime pour tenter d’acheter la paix sociale ?

Lorsqu’il s’agit des plus modestes, le gouvernement crée systématiquement des primes « exceptionnelles » laissées à sa discrétion. C’est d’autant plus problématique à quelques mois d’une élection présidentielle lorsque le président en place est probablement candidat, non déclaré, à sa propre succession.
À l’inverse, pour les riches, il s’agit de cadeaux fiscaux pérennes comme la transformation de l’ISF en IFI ou encore le prélèvement forfaitaire unique .

La puissance publique organise son impuissance.

Concernant le prix des carburants, l’État a lui-même organisé son impuissance, notamment par la privatisation de Total en 1993 par le gouvernement Balladur. Aujourd’hui Total affiche des résultats record grâce à l’augmentation du prix du pétrole et des carburants. Cela permet à l’entreprise de distribuer près de 7 milliards d’euros par an à ses actionnaires. C’est pratiquement deux fois le montant total de la prime inflation.
Malgré la privatisation, le gouvernement pourrait imposer un plafonnement des prix des carburants comme il l’avait fait pour les gels hydroalcooliques au début de la crise sanitaire.

De fait, avec la prime inflation, le gouvernement préfère faire payer l’État que contraindre les grandes compagnies pétrolières à réduire leurs prix et par conséquent leurs profits et leurs dividendes astronomiques.
Pour l’électricité et le gaz, on voit là aussi toutes les conséquences de la privatisation de l’énergie.

L’inflation passée ne se rattrape plus

Par définition, s’il y a 2,5 % en 2021 et 0 % en 2022, le niveau des prix fin 2022 sera tout de même supérieur de 2,5 % par rapport à début 2021.
Même si le niveau général des prix venait à stabiliser, ce qui est peu probable et pas forcément souhaitable, l’augmentation observée continuera de peser sur les ménages et ce n’est pas une prime versée une fois qui compensera. Ce n’est qu’une augmentation des revenus réguliers des ménages (salaires, allocations et pensions) qui pourra répondre à cette hausse du niveau général des prix. L’argument de Bruno Le Maire selon lequel une augmentation générale des salaires générerait une nouvelle inflation revient simplement à dire aux ménages « prenez vos pertes et repartons à zéro », ce n’est évidemment pas acceptable.

Contraindre patronat et gouvernement

la revalorisation des salaires doit passer par une meilleure répartition de la valeur ajoutée en prenant sur la part des profits pour rémunérer le travail. Au 4e trimestre, le taux de marge des entreprises se situe 0,6 point au-dessus de son niveau moyen, déjà élevé, de 2018(Insee), il n’y a donc rien qui justifie de ne pas procéder à une augmentation générale des salaires ;

le gouvernement dispose des outils pour faire face à l’inflation. Du point de vue des dépenses, l’État peut imposer le gel des prix des produits de première nécessité et qui composent les dépenses contraintes ;

du côté des recettes, la puissance publique peut agir, en premier lieu en tant que premier employeur du pays, en dégelant le point d’indice et en le revalorisant pour rattraper la décennie de gel. L’État peut également décider de revaloriser le Smic et provoquer une augmentation générale des salaires (qu’on pourrait rendre mécanique en indexant les minima de branches comme nous le revendiquons) ;

enfin, concernant les pensions, les allocations et les minima sociaux, là aussi la puissance publique a la main pour les revaloriser.

Si le gouvernement n’agit que par des mesurettes sans effet, ce n’est donc pas par impuissance mais pas manque de volonté politique. En effet, le problème n’est pas le niveau de créations de richesses mais bien leur répartition. Toutes les revalorisations évoquées doivent passer par une mise à contribution du capital, une autre répartition des richesses et c’est bien ça que ni gouvernement, ni patronat ne sont prêts à entendre, préférant un énième gadget technique pour tenter de calmer la colère sociale qui n’en finit pas de monter.

Augmenter les salaires pour bien vivre

C’est un élément essentiel pour relancer la consommation des ménages, et renforcer notre Sécurité sociale.
Nous exigeons que s’ouvrent immédiatement des négociations salariales dans toutes les entreprises.
Pour la CGT, aucun salaire minimum ne doit être en dessous du Smic !

À chaque revalorisation de celui-ci, il doit y avoir augmentation automatique de l’ensemble des minima dans les branches pour éviter que les grilles salariales ne se réduisent comme peau de chagrin.
Cette augmentation automatique doit s’accompagner de l’ouverture immédiate des négociations dans l’ensemble des branches professionnelles pour éviter les situations de décalage de parfois plusieurs mois et pour créer la dynamique salariale appelée des salariés.
La construction de nouvelles grilles de classifications et de salaires doit se fonder sur les principes suivants :

fixer le point de départ de la grille au minimum au niveau du Smic revendiqué à 2 000 €. Ce point de départ correspond au salaire minimum de première embauche d’un·e salarié·e sans qualification reconnue et sans diplôme ;

déterminer les modes d’équivalence entre les salarié·e·s diplômé·e·s et celles, ceux non diplômé·e·s qui ont acquis leurs qualifications par l’expérience, la validation, la formation continue ;

déterminer les modes d’équivalence et de reconnaissance de la pluri-compétence. La construction d’une grille doit prendre en compte cette réalité pour la reconnaître, en particulier dans le salaire ;

l’égalité d’accès à une promotion doit être garantie en lien avec les changements de qualification.

La qualification du ou de la salarié·e doit être reconnue et rémunérée.
Même sans diplôme, après un an de travail au maximum, le ou la salarié·e est considéré·e comme qualifié·e. La qualification peut être acquise et doit être reconnue dans l’emploi comme dans le salaire :

•par l’obtention d’un diplôme professionnel.
•par l’expérience dans un emploi équivalent à un niveau de diplôme .
•par la validation des acquis .
•par la formation continue.

La résorption des situations d’inégalité professionnelle et salariale doit aussi être enfin traitée. L’écart de salaire moyen entre les femmes et les hommes est toujours de 25 %. Les niveaux de diplômes doivent être reconnus de la même manière que ce soit pour les métiers exercés dans l’industrie ou le tertiaire. Par exemple aujourd’hui, une infirmière diplômée d’un Bac + 3 dans le secteur de la santé est moins bien payée qu’un salarié de l’industrie avec le même niveau de diplôme.

À chaque grand niveau de qualification doit correspondre un niveau de salaire de base minimum de première embauche. Ces grands niveaux de qualification du ou de la salarié·e doivent avoir pour référence les niveaux des diplômes de l’Éducation nationale quel que soit le mode d’acquisition de cette qualification (formation initiale, expérience, validation, formation continue). Pour chacun des grands niveaux de qualification tels que définis ci-dessus, le salaire de base minimum garanti devrait être :

• non diplômé·e : le Smic, soit 2 000 € ;
• niveau BEP / CAP : 1,2 fois le Smic, soit 2 400 € brut ;
• niveau Bac (général, professionnel ou technologique) : 1,4 fois le Smic, soit 2 800 € brut ;
• niveau BTS / DUT (BAC + 2) : 1,6 fois le Smic, soit 2 880 € brut ;
•niveau Licence LMD / licence professionnelle (Bac + 3) : 1,8 fois le Smic, soit 3 600 € brut ;
• niveau Master (Bac + 5) : 2 fois le Smic, soit 4 000 € brut ;
• niveau Doctorat (Bac + 8) : 2,3 fois le Smic, soit 4 600 € brut.

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